Le rôle du sarrasin dans les crises de subsistance du XVIe au XXe siècle
dans le cadre du séminaire annuel du Pôle Rural
MRSH de Caen
Résumé de la communication
Dans son article "la diffusion du blé noir en France à l'époque moderne
[1]", Michel Nassiet avance l'hypothèse que l'introduction du sarrasin dans la rotation culturale du Massif armoricain provoqua l'extension céréalière nécessaire à la croissance démographique du XVI
e siècle. À cette vision structurelle du rôle du sarrasin dans la démographie, il semble opportun de s'interroger sur une dimension plus conjoncturelle autour des crises de
subsistances. Du XVI
e au XX
e siècle, les exemples de l'utilisation du sarrasin dans l'atténuation des crises de subsistances en Bretagne et Basse-Normandie ne manquent pas.
Outre le fait que cette polygonacée s'accommode aisément des sols hostiles au froment, elle détient d'autres avantages non négligeables : son cycle et ses rendements élevés. Emblavé vers le mois de juin et récolté en septembre, le sarrasin est moins assujetti aux aléas météorologiques que les "bleds" d'hiver (d'octobre à août) ou de printemps (de mars à août). On peut ainsi replanter du sarrasin dans un champ de "bleds" ayant été ravagé et permettre une récolte salvatrice à l'automne.
L'importance du sarrasin dans les populations de l'Ouest s'appréhende également dans l'étude locale et singulière des mercuriales. La comparaison des coefficients de variation permet de comprendre les logiques de consommation des masses en temps de crise. Quant aux coefficients de corrélation, ils permettent de déterminer la part d'indépendance de cette plante face au froment. Le sarrasin étant une denrée cultivée et consommée localement, elle échappe aux logiques économiques nationales, voire internationales à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. D'ailleurs, l'évolution de la place du sarrasin dans les mercuriales est perceptible entre les crises d'Ancien Régime et celles du XIXe siècle.
Néanmoins, le sarrasin n'est pas le seul aliment à jouer un rôle d'atténuation durant ces périodes difficiles. D'autres denrées telles que l'orge, la pomme de terre, la châtaigne, le maïs, le riz, et même le beurre, ainsi que certaines politiques publiques de régularisation des prix, permettent aussi l'atténuation des crises de subsistances. Malgré tout, l'apport du sarrasin en association avec d'autres plantes s'avère être un apport non négligeable dans l'apaisement des crises de subsistances pour le bocage Bas-Normand et la Bretagne.
Plus que le sarrasin, ce qui semble important pour Alain-Gilles Chaussat, c'est bien l'étude locale des systèmes de polyculture et l'impact qu'a pu avoir l'arrivée de nouvelles denrées dans les sociétés rurales, d'un point de vue du "fait social total".
[1] Michel Nassiet, La diffusion du blé noir en France à l'époque moderne, Histoire & Sociétés Rurales1998, n
o 9pp. 57‑76.