Le sarrasin dans l’histoire des populations de l’Ouest: L’impact d’une plante secondaire dans l’évolution démographique, technique, économique et sociale de la Basse-Normandie du XVe au XIXe siècle.
Si des « plantes nouvelles » comme le maïs ou la pomme de terre ont déjà retenu l’attention des historiens, il n’en n’est pas de même pour le sarrasin ou « blé noir ». On admet pourtant qu’il a contribué à atténuer les crises de subsistance entre le Moyen Âge et le XIXe siècle. Qu’en est-il vraiment ? Cultivée en Basse-Normandie dès le XVe siècle – c’est même dans le cartulaire du chapitre cathédral d’Avranches (ms206) qu’apparaît en France la première mention en 1460 ! – la plante s’y développe jusqu’au XXe siècle. Dans l’Ouest, l’insertion du sarrasin dans l’agriculture et l’alimentation semble avoir eu une place innovante. Elle n’a pourtant jamais été démontrée. Les consommateurs et les pratiques alimentaires restent pour le moment largement méconnus. Avec le sarrasin, a-t-on découvert une nourriture de substitution pour pallier aux crises frumentaires des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles ? En dehors de ces temps de crise, n’a-t-il pas joué un rôle alimentaire plus structurel ? Quel succès ont pu avoir alors les bouillies, galettes, gâches et autres recettes à base de blé noir ? Dans des régions rurales connues pour leurs très hautes densités – le Bocage normand est considéré depuis longtemps comme un véritable réservoir démographique – quel impact cette plante nouvelle a-t-elle eu sur les populations ?
Travailler sur le sarrasin présente une dimension économique qu’il nous faudra éclairer à travers une étude quantitative de la production et un examen de l’évolution des prix sur la longue durée. Car, en dehors de son appoint alimentaire le blé noir a donné lieu à une commercialisation. Sur ce point, nos lacunes sont manifestes. Quand et comment le sarrasin est-il apparu sur les marchés ? sous quelle forme : grain ou farine ? et avec quelles retombées pour les producteurs ? Ces questions n’ont jamais été résolues. Dans son projet de Dîme royale, Vauban déplorait vers 1700 « la petite qualité » du seigle et du sarrasin pour la Bourgogne en affirmant qu’il s’agissait du pays « le plus mauvais et le moins fertile du royaume ». Associée traditionnellement aux régions « pauvres », la polygonacée n’a pas bonne presse aux yeux des élites. Si elle représente une plante utile à la survie des populations, son essor ne s’est-il pas effectué au détriment d’un progrès économique ? Dans cette optique, on reliera les écrits des Physiocrates, si sensibles aux vertus du « pur » froment dans l’agriculture, aux réalités des « pays » producteurs bien présents en Basse-Normandie (comme l’Avranchin, le Mortainais, le Bocage virois, le Domfrontais) mais aussi dans certaines régions voisines (Haute-Bretagne et Maine) ou moins proches (Marche et Limousin). Dans cette perspective, l’analyse monographique de quelques sites documentaires (présentant à la fois des sources écrites et muséographiques) sera essentielle. Par ailleurs, dans des sociétés anciennes où les prélèvements (fiscalité, rente féodale, etc.) reposaient sur l’agriculture, on examinera aussi la place du blé noir dans le système des redevances (dîme, taille et banalités).
Pour mieux comprendre l’impact du sarrasin dans l’économie et la société rurales, on examinera les techniques agricoles et les facteurs agronomiques entre le XVe et le XIXe siècle. Car bien des questions restent à élucider : la place exacte de cette graine dans l’assolement (et ses variations) ; l’incidence des données agro-météorologiques (ce qui suppose des études à grande échelle) ; le degré de variabilité des rendements ; les différentes techniques et les outils nécessaires à la culture, à la transformation et à la consommation de la plante ; ses propriétés nutritives et leur effet anthropologique (taille des individus).
La production du blé noir est liée intrinsèquement à un matériel spécifique, qui comporte notamment des meules à main rotatives. De fait, contrairement aux céréales panifiables, il n’était pas question, semble-t-il, de recourir à des meules hydrauliques, comme celles qui ont fait l’objet de l’enquête nationale réalisée par Alain Belmont. Or, pour la France, l'historiographie considère les meules à main comme illégales ou d'un usage clandestin dans le cadre du régime seigneurial (banalités) du XIe au XVIIIe siècle. Cette hypothèse – qui serait à confronter avec des usages en dehors de l’Hexagone – implique une quasi-inexistence de ces outils de mouture pour toutes ces périodes. Pourtant, durant les deux années de recherche du Master d’Histoire, nous avons inventorié bon nombre de moulins manuels d’époque moderne et contemporaine en Basse-Normandie. Si, en ce domaine, la région fait figure d’exception, c’est grâce à la culture du sarrasin. Après avoir considéré la meunerie manuelle d’un point de vue purement fonctionnel, nous renverserons la perspective en plaçant le sarrasin comme point central de la recherche. Les moulins hydrauliques sont bien implantés dans l’ensemble du territoire et ils sont utilisés pour la mouture des grains. Alors pourquoi n’y recourt-on pas pour le sarrasin ? Le blé noir ne conditionne-t-il pas la persistance des moulins manuels en Basse-Normandie ? Ces outils sont les seuls vestiges encore présents de la culture du sarrasin. Ils en sont les témoins, mais aussi le symbole. Au-delà de leur utilisation, leur fabrication devra être éclairée en retrouvant les sites de production. L’utilisation systématique du granit tient-elle simplement à la large disponibilité sur place du matériau ou bien à des propriétés mécaniques recherchées pour ce type particulier de mouture ? Et, au-delà de l’exemple normand, qu’en est-il des autres régions productrices de blé noir ?
En définitive, le sarrasin – et la meunerie manuelle qui lui est associée – ouvrent sur une histoire « globale » : histoire des techniques artisanales et agricoles, histoire sociale et économique mais aussi histoire culturelle et histoire de l’alimentation. Derrière ces différents pans de la recherche, c’est toute une « civilisation » au sens ethnologique, qu’il faut interroger. Pour répondre à ces divers enjeux, l’éventail des sources est fort large : sources archéologiques (sites de production), muséographiques (moulins manuels, instruments de cuisine, etc.), iconographiques (miniatures, peintures, gravures, planches d’ouvrages agronomiques, etc.) et textuelles (actes notariés, inventaires, enquêtes administratives et économiques, ...) Elles feront l’objet d’une approche pluridisciplinaire et pluriméthodologique, qui trouvera naturellement à s’accomplir dans le cadre du CRHQ et du Pôle rural et la MRSH.
Travailler sur le sarrasin présente une dimension économique qu’il nous faudra éclairer à travers une étude quantitative de la production et un examen de l’évolution des prix sur la longue durée. Car, en dehors de son appoint alimentaire le blé noir a donné lieu à une commercialisation. Sur ce point, nos lacunes sont manifestes. Quand et comment le sarrasin est-il apparu sur les marchés ? sous quelle forme : grain ou farine ? et avec quelles retombées pour les producteurs ? Ces questions n’ont jamais été résolues. Dans son projet de Dîme royale, Vauban déplorait vers 1700 « la petite qualité » du seigle et du sarrasin pour la Bourgogne en affirmant qu’il s’agissait du pays « le plus mauvais et le moins fertile du royaume ». Associée traditionnellement aux régions « pauvres », la polygonacée n’a pas bonne presse aux yeux des élites. Si elle représente une plante utile à la survie des populations, son essor ne s’est-il pas effectué au détriment d’un progrès économique ? Dans cette optique, on reliera les écrits des Physiocrates, si sensibles aux vertus du « pur » froment dans l’agriculture, aux réalités des « pays » producteurs bien présents en Basse-Normandie (comme l’Avranchin, le Mortainais, le Bocage virois, le Domfrontais) mais aussi dans certaines régions voisines (Haute-Bretagne et Maine) ou moins proches (Marche et Limousin). Dans cette perspective, l’analyse monographique de quelques sites documentaires (présentant à la fois des sources écrites et muséographiques) sera essentielle. Par ailleurs, dans des sociétés anciennes où les prélèvements (fiscalité, rente féodale, etc.) reposaient sur l’agriculture, on examinera aussi la place du blé noir dans le système des redevances (dîme, taille et banalités).
Pour mieux comprendre l’impact du sarrasin dans l’économie et la société rurales, on examinera les techniques agricoles et les facteurs agronomiques entre le XVe et le XIXe siècle. Car bien des questions restent à élucider : la place exacte de cette graine dans l’assolement (et ses variations) ; l’incidence des données agro-météorologiques (ce qui suppose des études à grande échelle) ; le degré de variabilité des rendements ; les différentes techniques et les outils nécessaires à la culture, à la transformation et à la consommation de la plante ; ses propriétés nutritives et leur effet anthropologique (taille des individus).
La production du blé noir est liée intrinsèquement à un matériel spécifique, qui comporte notamment des meules à main rotatives. De fait, contrairement aux céréales panifiables, il n’était pas question, semble-t-il, de recourir à des meules hydrauliques, comme celles qui ont fait l’objet de l’enquête nationale réalisée par Alain Belmont. Or, pour la France, l'historiographie considère les meules à main comme illégales ou d'un usage clandestin dans le cadre du régime seigneurial (banalités) du XIe au XVIIIe siècle. Cette hypothèse – qui serait à confronter avec des usages en dehors de l’Hexagone – implique une quasi-inexistence de ces outils de mouture pour toutes ces périodes. Pourtant, durant les deux années de recherche du Master d’Histoire, nous avons inventorié bon nombre de moulins manuels d’époque moderne et contemporaine en Basse-Normandie. Si, en ce domaine, la région fait figure d’exception, c’est grâce à la culture du sarrasin. Après avoir considéré la meunerie manuelle d’un point de vue purement fonctionnel, nous renverserons la perspective en plaçant le sarrasin comme point central de la recherche. Les moulins hydrauliques sont bien implantés dans l’ensemble du territoire et ils sont utilisés pour la mouture des grains. Alors pourquoi n’y recourt-on pas pour le sarrasin ? Le blé noir ne conditionne-t-il pas la persistance des moulins manuels en Basse-Normandie ? Ces outils sont les seuls vestiges encore présents de la culture du sarrasin. Ils en sont les témoins, mais aussi le symbole. Au-delà de leur utilisation, leur fabrication devra être éclairée en retrouvant les sites de production. L’utilisation systématique du granit tient-elle simplement à la large disponibilité sur place du matériau ou bien à des propriétés mécaniques recherchées pour ce type particulier de mouture ? Et, au-delà de l’exemple normand, qu’en est-il des autres régions productrices de blé noir ?
En définitive, le sarrasin – et la meunerie manuelle qui lui est associée – ouvrent sur une histoire « globale » : histoire des techniques artisanales et agricoles, histoire sociale et économique mais aussi histoire culturelle et histoire de l’alimentation. Derrière ces différents pans de la recherche, c’est toute une « civilisation » au sens ethnologique, qu’il faut interroger. Pour répondre à ces divers enjeux, l’éventail des sources est fort large : sources archéologiques (sites de production), muséographiques (moulins manuels, instruments de cuisine, etc.), iconographiques (miniatures, peintures, gravures, planches d’ouvrages agronomiques, etc.) et textuelles (actes notariés, inventaires, enquêtes administratives et économiques, ...) Elles feront l’objet d’une approche pluridisciplinaire et pluriméthodologique, qui trouvera naturellement à s’accomplir dans le cadre du CRHQ et du Pôle rural et la MRSH.
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